Enfants de la modernité
Vendredi 13 juin, 19h. Nous sommes dans le train en direction de Saint-Malo. A ma droite, un nouveau-né hurle de tous ses poumons malgré les efforts de la maman qui ne sait plus que faire pour le calmer. Elle le berce, l’embrasse, mais rien n’y fait. Devant nous, le regard vide, une autre maman observe son enfant de 1 an hurler spasmodiquement, sans doute encouragé par les cris de son voisin de derrière… Les gens autour ne disent rien, mais sont clairement excédés. Pete a mis ses écouteurs-boules Quiès et ferme les yeux en essayant de tout oublier. Même moi j’ai du mettre de la musique, pour couvrir ces cris insupportables. Malgré tout cela, derrière nous, deux petites filles jouent calmement sur leur Nintendo DS, imperturbables.
Au fur et à mesure que la perspective d’avoir des enfants se rapproche, je me surprends à réfléchir de plus en plus à la problématique de l’éducation. Pour quoi éduque-t-on un enfant? Que cherche-t-on à lui transmettre? Comment sait-on comment éduquer son enfant???
Ici, ces mamans ne savent manifestement pas comment s’y prendre. La mère du nouveau-né réussit finalement à le calmer partiellement en lui parlant doucement à l’oreille. Mais ça ne suffit pas, et elle finit par sortir du wagon. L’autre gosse continue ses cris intermittents, et la maman ne dit rien. Elle le regarde, ouvre son gilet: il a peut-être trop chaud? Ah non ce n’était pas ça. A aucun moment elle ne lui parle. Elle le soulève, l’allonge, le rassied, il continue à hurler, et elle continue de le regarder, complètement impuissante. Je ne vois même pas d’énervement ou d’incompréhension dans ses yeux, elle est tout simplement blasée…
J’ai rencontré pas mal de gens qui se sont posés les mêmes questions que moi et qui ont décidé de remettre en cause le système éducatif classique. Désirant ce qu’il y a de mieux pour leur enfant, ils considèrent que les méthodes d’éducation traditionnelles ne sont pas adaptées, car trop autoritaires, pas assez épanouissantes, limite castratrices. Du coup, ils optent pour ”l’éducation douce”: jamais de fessées (combien en ai-je eu!) ne jamais se fâcher, puisqu’il suffit d’expliquer tranquillement à l’enfant ce qui ne va pas, ne surtout pas laisser pleurer l’enfant, même tout petit, et lui donner tout pour qu’il se calme. Le mettre dans des écoles spécialisées, qui ne l’assomment pas de choses à apprendre mais plutôt qui le forment à la vie en société… J’ai toujours trouvé que ces personnes étaient courageuses et qu’elles avaient sans doute raison. Après tout notre système n’est sûrement pas parfait, et les méthodes autoritaires de nos parents et grands-parents ont frustré et renfermé sur eux-mêmes plus d’un enfant.
La deuxième maman est finalement sortie du wagon elle aussi. Je m’imagine à sa place. Conformément à l’éducation que j’ai reçue, je me dis que jamais je ne permettrais que mon enfant se comporte de cette façon. Jamais je ne le laisserais crier dans le wagon sans rien faire. Je le gronderais certainement s’il refusait de se taire à ma demande. Puis je culpabilise: si je le gronde, est-ce que je ne l’empêcherai pas de s’exprimer? Ne vais-je pas en faire un enfant replié sur lui-même, n’osant pas s’ouvrir à ses émotions? Si je le gronde, je vais à l’encontre de ces méthodes ”douces” qui paraissent tellement plus justes que l’éducation autoritaire…
Toujours ces cris… Emergeant dans mes pensées, soudain j’ai l’impression que tout ce que veut cet enfant, c’est communiquer avec sa mère. Elle a l’air tellement perdue! Elle ne lui dit rien, pas un mot! Tout d’un coup, je perçois les cris de l’enfant comme des cris de douleur, la douleur de ne pas arriver à communiquer avec sa mère…
Je m’interroge : en ce moment même, qu’est-ce que je désire le plus? Que l’enfant se taise et que je puisse, comme les autres personnes du wagon, retrouver ma tranquillité, certes. Mais comment ? En espérant que la mère fasse taire de force son gosse, ou en espérant qu’elle lui demande enfin ce qui ne va pas et qu’elle communique avec lui? Les gens sont excédés parce-que ”cette mère ne sait pas tenir son enfant”. Voilà qui m’amène à réfléchir à ce qu’est vivre en société. Ici, vivre en société = ne pas crier dans le wagon. J’en déduis que l’objectif de l’éducation d’un enfant est de le former à vivre en société en lui inculquant les valeurs et les codes de fonctionnement de celle-ci. C’est donc de ce point de vue là qu’il faut voir l’éducation! Mais pourquoi tout ce ”binnz” sur l’éducation douce alors? Mon petit doigt me souffle qu’il y a peut-être une autre dimension à l’éducation, que les parents cherchent à maximiser au travers de ces méthodes douces : l’épanouissement de l’enfant. L’éducation d’un enfant doit également lui donner les clés pour qu’il puisse s’affirmer pleinement dans son caractère, tout en étant intégré et à l’aise dans notre société. C’était donc ça…
Cette remise en question du système autoritaire dans lequel les générations de nos parents et grands-parents ont grandi semble toutefois apporter son lot de confusion aux nouveaux parents. Comment faire? Quelle méthode choisir? Les nouveaux parents ont-ils vraiment le choix de l’éducation qu’ils vont donner à leurs enfants? Connaissent-ils les alternatives, les tenants et les aboutissants? Il me semble, à moi, qu’ils font plutôt confiance à ce qu’ils ont appris de leurs parents et puis à leur instinct. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir les moyens de se renseigner sur le benchmarking de l’éducation des enfants! Peut-être faudrait-il des cours pour les parents? Pour leur expliquer en quoi l’éducation appropriée de leurs enfants est primordiale à la fois pour l’enfant et pour notre société, et pour les aider et les accompagner dans les moments difficiles… Ces cours pourraient être dispenses par des associations, ou par les collectivités locales, comme lorsque la ville de Paris propose des cours de Français ou de lecture gratuits. Pourquoi ne pas lancer une campagne nationale de sensibilisation à l’éducation? Ce sont nos enfants, leurs valeurs et leur vision du monde qui modèleront notre société de demain. A mon avis, le sujet est assez important pour mériter de figurer dans les priorités du gouvernement!
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